Hyperconte : Les âmes damnées des Reines du drame

Les premières œuvres cinématographiques comportent souvent un aspect brut de décoffrage, une forme de sincérité déconcertante souvent synonyme d’expressivité manifeste et retiennent l’attention à cet égard. C’est le cas des récents Vingt Dieux de Louise Courvoisier, Diamant Brut d’Agathe Riedinger, Foudre de Carmen Jaquier et des Reines du drame d’Alexis Langlois, film musical projeté à Cannes l’année dernière racontant l’ascension de deux divas follement passionnée, follement amoureuse en proie au star system.

Avec ce premier long métrage le réalisateur français signe un film complètement habité, musical, dense, coloré et surtout éclectique, tant il puise son inspiration aussi bien des émissions de téléréalité que des réseaux sociaux, des années 2000 que d’un futur prospectif, de la musique pop que de l’électropunk. L'ensemble donne un cocktail explosif doux-amer mélangeant les attributs de la pop culture à la culture underground, associant le rose bonbon au rouge écarlate, les paillettes aux larmes. Tous les curseurs sont donc à fond dans ce récit futuriste exacerbé digne d’un conte de fée hardcore, Alexis Langlois ne lésine sur rien. Pour exemple, l’audition façon « Popstars » tournant en dérision la grande époque des télécrochets et le monde télévisuel en général : jury aux sourires forcés ultra brite, cheveux peroxydées, teint orange, décor carton-pâte.

Mais cette exagération formelle et narrative tourne autour d’un axe musical et place de fait la chanson au cœur de l’intrigue, elle-même impactée par cette emphase. Composée par Pierre Desprats, Mona Soyoc, Yelle et Rebeka Warrior, la b.o des Reines du Drame fait elle-même le jeu de ce mélange décalé entre pop et punk, entre légèreté symphonique et gravité instrumentale, qui semble avoir été pensée comme de vraies montagnes russes mélodiques évoquant les partitions de Bernard Herrmann (le morceau très hitchcockien « Pharmakon »), Danny Elfmann (« L’ascension d’une star », « La dernière crasse ») mais aussi la pop sirupeuse de Lorie, Alizée ou Priscilla (le morceau entêtant « Pas touche !» audible plus loin dans l'article) et les lyrics trashs et agressifs des Vulves Assassines, de Sexy Sushi ou de Poppy (« Bikeuse amoureuse », « Désabusée »). Contraste musical saisissant donc, choc et alliance des genres tantôt en opposition frontale, tantôt en adéquation réciproque, s’entremêlant parfois merveilleusement bien au détour de certains titres (« Fistée jusqu’au cœur » et « Megamix »).

Les chanteuses pop et punk Mimi Madamour (Louiza Aura) et Billie Kohler (Gio Ventura)

Ce côté hybride de la musique s’associe à un scénario lui-même hybride mélangeant la forme du conte, celle de la tragédie mais aussi du burlesque et du kitsch. Le film commence d’ailleurs un peu à la manière des contes Disney par un écran finement enluminé orné de parures végétales serties de diamants, de cœurs brisés, de micros, de cd et de mini-portraits de l’héroïne pop Mimi Madamour. Ouverture clinquante et hypnotisante rappelant aussi par ses sonorités répétitives l’intro de Vertigo. Plongée mystérieuse dans les facettes d’un diamant aboutissant à la chambre du youtubeur-narrateur Steevyshady, visible facecam. La narration décolle avec ce personnage extravagant en juillet 2055 et nous embarque au début des années 2000 où l’on découvre les deux héroïnes en train de passer une audition télé. Flash-back de circonstance pour remonter aux origines d’un drame qui s’annonce terriblement délirant, épique et poétique.


Steevyshady (Billal Hassani)

Comparativement à la figure du conteur incarné par le chanteur Billal Hassani, les autres personnages des Reines du drame à l’instar des deux héroïnes, des fans, des haters, des médias, des jurées, des agents, renvoient à un ensemble d’archétypes faisant écho à certaines figures emblématiques de l’univers des contes comme la princesse, le chevalier, la mère, les marraines, le grand méchant. Le début de l’intrigue indique déjà ce regard croisé vers la forme d’un récit légendaire en commençant par le morceau « Il était une fois ». L’histoire narrée par Steevyshady se veut elle-même emplie des thèmes récurrents et centraux du conte merveilleux comme l’amour, la cruauté, la douceur, l’avidité, la fortune et le passage du temps. Si bien que le récit d’Alexis Langlois peut passer pour une relecture ou une version alternative d’un conte-type ou même d’une tragédie. Les motifs évoqués précédemment définissent ainsi les contours d’un drame romantique tombant nécessairement dans l’excès comme pour mieux mettre en lumière un amour sincère ou mieux se défaire justement des stéréotypes et atteindre une forme de vérité poétique. Cette traversée narrative en exagérations offre de nombreuses ruptures sonores et visuelles pouvant perdre le spectateur non aguerri, mais à bonne distance la trame du récit reste assez classique. Ce qui surprend c’est ce grand écart très solide entre un univers merveilleux similaire à un conte de fée et un furieux désir de débordements et de mélanges.

Pour accentuer cette dichotomie entre sagesse de l’intrigue et folie des grandeurs, la mise en scène d’Alexis Langlois se concentre méticuleusement sur sa forme. Mention spéciale aux effets d’éclairage et à la frénésie du montage alternant des ambiances multiples. Il suffit de voir le clip de Mimi Madamour « Pas Touche », dont l’esthétique reprend trait pour trait les clips de l’époque L5 – Britney Spears, opposée aux hurlements Metal de Billie Kohler dans une rue pleine d'ordures sur la chanson « Damnée d’amour ». Les décors tout comme les lumières, les maquillages, les coupes de cheveux et les tenues participent de cette grande brisure, centrifugeant les expressions, les postures vers un amour impossible sur fond de rivalité artistique. De par la surcharge et le court-circuitage à l’excès l'histoire tombe souvent dans la drôlerie, la vulgarité et le psychédélisme. Mais la délicatesse est bien là sous cette couche épaisse de contrastes et de clichés, proposant de vrais moments émouvants malgré la crudité de certaines chansons (moment lunaire et poétique du duo interprétant « Fistée jusqu’au cœur » réunissant les deux héroïnes en cellule). Les Reines du drame garde ainsi son caractère de conte de fée en même temps que de tragédie pop en faisant de son extravagance la force pure de son scénario.

Avec sa forme narrative très premier degré, son côté outrancier, son humour, sa psychose, sa romance, sa violence, sa douceur aussi, Les Reines du drame peuvent laisser pantois. Mais cet attelage hétéroclite est en fait là pour mieux exprimer les turpitudes de l’âme, les oscillations contraires en amour, à l’œuvre dans le cœur des deux héroïnes. Assumant totalement son attrait pour les stéréotypes et le pastiche, le film d’Alexis Langlois peut aussi se voir comme une critique du star system et du monde du spectacle en général, décrivant la montée en puissance d’une reine de la pop tout autant que sa déchéance, à l’identique de certaines célébrités dont le nom ou la carrière a brillé durant une période puis s’est progressivement éteinte avec le temps (Britney) le tout sur un mode qui rappelle le conte merveilleux où « les baisers sont plus précieux que le succès ». Mais la grande réussite d’Alexis Langlois est cette alliance manifeste entre formatage et transgression, opposant des genres musicaux aux antipodes qui pourtant cohabitent de manière exceptionnelle dans une forme d’échange réciproque sous la direction orchestrale de Pierre Desprats. Le gloss cède aux hurlements, le punk voue une admiration secrète pour la pop.

"Leave Mimi alone !!!"

Images : "Les Reines du drame", Alexis Langlois, 2024, Les Films du Poisson

Commentaires

Articles les plus consultés