Le bruit des lames
La série Star Wars Ahsoka, sortie récemment sur Disney+, semblait assez conventionnelle jusqu’à l’épisode 5 Le Guerrier de l’ombre. Peut-être l’un des épisodes les plus singuliers parmi tous ceux issus des séries dérivées. Dave Filoni connu pour son long-métrage d’animation The Clone Wars en est ici le réalisateur et scénariste. Dans La guerre des clones le récit s’intéressait de près à l’accomplissement d’une jeune Jedi, Ahsoka Tano, auprès de son maître Anakin Skywalker (alias Dark Vador). En 2008 le public eut un réel coup de cœur pour ce personnage féminin dont la posture héroïque, le charisme, détonnait, provenant essentiellement de son courage, de sa ténacité et mais aussi de son indépendance. Un engouement massif naquit pour ce film lui laissant une place à part dans toute la saga, situé entre les deux premiers volets en prises de vues réelles de la prélogie (La Menace Fantôme et L’Attaque des Clones). Un focus sur Ahsoka Tano était donc assez attendu et prévisible étant donné l’existence de multiples spin-off, plus ou moins réussis, dont celui sur Boba Fett, Obi-Wan et Han Solo, personnages tout aussi emblématiques de Star Wars.
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Ahsoka et Anakin |
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Chopper, Hera Syndulla et son fils Jacen |
Dès lors, la série Ahsoka se déroule entre la trilogie originelle et la postlogie (épisodes VII, VIII, IX). De nombreuses années se sont écoulées depuis la guerre des clones. Interprétée par Rosario Dawson, dont la carrière a commencé à des années lumières de la science-fiction, avec Larry Clark dans Kids, puis plus tard avec Spike Lee (He Got Game, La 25ème heure), Tarantino (Boulevard de la mort), Frank Miller et Robert Rodriguez (Sin City), ce n’est pas la première fois que l’actrice met les pieds dans l’univers Star Wars. On l’avait déjà aperçue sous les traits d’Ahsoka dans l’épisode 5 La Jedi de The Mandalorian (saison 2) en 2020 où elle faisait sa première apparition et donnait la réplique à Pedro Pascal.
Mais pourquoi cet épisode 5 se distingue-t-il des autres ?
Il y a tout d’abord le fait de retrouver le personnage d’Anakin Skywalker, ici interprété par Hayden Christensen, dont l’influence sera déterminante aussi bien dans la trajectoire de Luke que dans celle d’Ahsoka. Il fut le père pour l’un et le mentor pour l’autre. L’antagoniste et le protecteur à la fois. La dualité d’Anakin est bien connue puisqu’il s’agit en réalité de Dark Vador, personnage cinématographique hautement iconique, disciple rebelle d’Obi-Wan Kenobi, vengeur casqué, à la confluence du bien et du mal. Le retour de ce personnage dans le parcours d’Ahsoka donne lieu à un duel imaginaire après avoir été projetée en pleine mer par l’ex-chevalier Jedi Baylan Skoll. De cette chute dans la mer, dont on ne sait pas exactement où elle atterrit, Dave Filoni choisit d’en faire un lieu d’épreuve, un outre-monde, comme dans un rêve, où l’héroïne sera confrontée à son maitre pour une dernière leçon. S’engage alors un combat esthétisant, sur fond de questionnement aux accents shakespeariens : « vivre ou mourir » il faut choisir.
Mais la singularité de cet épisode ne repose pas seulement sur cet affrontement direct, ne se trouve pas exactement à cet endroit bien que comportant visuellement des arguments de taille : chorégraphies, effets d’éclairages, raccords percutants, décors relativement dantesques. C’est en fait en contrechamp que se joue la belle idée de cet épisode, depuis un autre point de vue, celui du fils de la générale de l’Alliance Rebelle, Jacen, qui perçoit dans les grondements des ressacs en contrebas de la falaise, d’où est tombée Ahsoka, le crépitement des sabres lasers. On entend alors comme des explosions sous la mer. Le bruit des vagues et celui des lames qui s’entrechoquent, se mélangent, se confondent de manière subtile au point pour le spectateur de ne pas y prêter attention dans un premier temps. Nous sommes dans un moment de suspension. Quelque chose d’invisible, d’imperceptible pour les personnages insensibles à la Force, a en effet bien lieu quelque part. Un grand mouvement guerrier est en réalité à l’œuvre derrière les entrelacs sonores : l’affrontement entre un maitre et son padawan perdus tous deux dans un « au-delà » incertain.
La mise en scène se déploie alors lorsque qu’Hera Syndulla (la mère de Jacen) tient enfin compte des propos de son fils, se mettant à son tour à « écouter les vagues ». Vaste écart perceptif entre la violence du combat suggérée par les éclats sonores appartenant aux lames des deux chevaliers Jedi et le calme quasi méditatif de Jacen et sa mère pour les percevoir. A travers cette hybridation acoustique un océan se révèle, jouant le rôle de transition et d’antichambre, où l’eau trouve sa symbolique de vie et de mort, annonçant à la fois une fin, un choix déterminant, et un renouveau pour Ahsoka. Cette scène se trouve également amplifiée par les excellents arrangements de Kevin Kiner, compositeur de la série, citant le thème de la force de John Williams, évoquant en même temps toutes les séquences anthologiques de StarWars. Poésie, dramaturgie, émotion, sont les trois qualités saillantes de cette courte mais mémorable scène. Idée simple mais géniale transformant tout l’épisode en chant d’espoir pour la suite de la série qui au départ s’avérait un peu creuse. A souligner le fait que les dernières productions Star Wars manquent de moments marquants de cette envergure, d’inventivité, d’images qui restent comparables à l’intensité de la scène des vagues où même du duel entre Ahsoka et Anakin. Signes sans doute d’un certain formatage qui autorise finalement peu les prises de risque, les subtilités, les écarts artistiques, mais aussi d’une forme de complaisance envers un public déjà acquis, déjà aimant, déjà connaisseur. Il ne faut pourtant parfois pas grand-chose pour faire d’un plan, d’une scène, un moment de pure émotion, comme Luke contemplant les deux couchers de soleil sur Tatooine, ou bien lorsque celui-ci commence à maitriser la force écoutant les préceptes de Yoda pour soulever un X-Wing. « Less is more » disait l’architecte Mies Van Der Rohe. C’est parfois autour d’un détail que nait un édifice.
Photos : Star Wars Ahsoka (2023) / Star Wars épisode IV : Un nouvel espoir (1977)
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