Reflet dans un diamant mort
Découverte d’un couple de réalisateurs qui m’étaient jusqu’alors inconnus : Hélène Cattet et Bruno Forzani qui signent ici leur 4ème long métrage Reflet dans un diamant mort dont la production s'échelonna sur cinq années. Comme l'expliqua Eric Perreti, intervenant au cinéma Bel Air de Mulhouse et programmateur du festival underground de Lausanne et des Hallucinations Collectives de Lyon, l’intention était au départ de faire un film d’animation adapté d’un roman de l’autrice américaine Harriet Daimler. Mais à la lecture du script les studios de production furent quelque peu frileux à l'idée de s'engager dans cette voie artistique et se retirèrent vite du projet.
Les deux coréalisateurs ont alors commencé à écrire une nouvelle histoire combinant des éléments provenant de la bd, du roman-photo, de l’Op art et des films type "Eurospy" (films d’espionnage bon marché des années 60, surtout présents en Italie, calqués sur le modèle de James Bond en nettement moins coûteux).
Le résultat final est en effet composite et de l’ordre du collage rappelant pour la forme les expérimentations surréalistes ou pour le fond les "Combines paintings" de Rauschenberg. La pellicule est une matière à pétrir, c’est ce qui se ressent dès les premières secondes du film, marqué par les sautes d’images, les grésillements, les changements de coloration, les coupes et les transitions redoutablement bien pensées. L’art du montage dans toute sa splendeur.
Si l’inspiration viscontienne est assez évidente (Mort à Venise cité en début et fin de film), on pense aussi à Tarantino, Bertrand Mandico, Dario Argento, Mario Bava, tant le film miroite de références pop, psyché, pulp ou giallo. Mais le récit fragmentaire/té de ce vieil agent secret (Monsieur Diman incarné par Fabio Testi), dont on ne sais pas vraiment s’il a perdu la mémoire, s’il délire ou s’il revit son passé, (peut-être les trois), a de quoi dérouter. Il ne faut pas s’attendre à suivre un récit linéaire. Au contraire les maîtres-mots ici sont fragments et miroitement, si bien que les situations se dérobent à chaque fois comme un glissement de terrain. On passe d’une scène à l’autre, comme si on changeait de facette, non pas en tournant autour du diamant mais en rentrant à l’intérieur. La structure du film se veut alors à la fois minérale et organique.
Ainsi toutes les scènes se déploient ou s’imbriquent par un habile système de réflexion, offrant de nombreux échos visuels, donnant le sentiment d’une multitude d’itérations, véritable métaphore de l’éclat, passant par une bague, un œil, un verre de martini, des ongles, des diamants factices.
La plus belle incarnation de cette diffraction visuelle et scénaristique est de toute évidence le personnage de Serpentik, antagoniste et tueuse fatale, ayant divers masques, diverses peaux, sans jamais parvenir à cerner son vrai visage. Personnage ultra sexy et charismatique à l’allure d'une héroïne de Cat’s Eyes qui se joue du temps et de la mort. Mention spéciale à la super scène de combat dans le bar « Le Pirate », génialement chorégraphiée (à noter que l’interprète de Serpentik à ce moment-là est une danseuse) faisant passer les pirouettes de Ballerina avec Ana de Armas pour une enfant de chœur.
![]() |
L'attaque du bar, grande réussite du film |
Une structure en éclat donc, proposant une lecture non pas linéaire mais plutôt circulaire comme le précise Bruno Forzani dans une interview. Par ailleurs le couple de réalisateurs s’est inspiré de la méthode d’écriture de Satoshi Kon pour leur scénario, c'est à dire en découpant leur récit en plusieurs strates. Une forme d’écriture stéréoscopique revendiquée se basant beaucoup sur la trame de l'animé japonais Millenium Actress.
Si le film paraît autant travaillé du point de vue plastique et sonore en donnant souvent l’impression d’être face à une dinguerie expérimentale, il n’est pas moins segmenté et organisé. Reflet dans un diamant mort est un film millimétré, cousu main. En effet Eric Perreti précise également que tous les plans ont été dessinés, storyboardés, décrits au préalable (300 à 400 pages de scénario avec parfois certaines scènes tournées à l’iphone comme brouillon). Travail d’exception, quasi artisanal, à rebours des grosses productions numériques. Autre chose assez rare, tout le montage son a été réalisé en post prod. Pas de place au hasard quoique pourraient laisser penser certains effets.
![]() |
L'affiche belge du film à gauche et la couverture du fumetto "Diabolik" |
Doublé de cette alchimie maîtrisée en amont, le film procède de l’art du mixage, de l’assemblage, télescopant les romans-photos, les vignettes d'inspiration « Fumetti » (Bd populaires italiennes équivalent des manga au Japon tels « Diabolik » ou « Dylan Dog ») avec l'art optique et les films d’espionnage cheap. L’ensemble donne un effet kaléidoscopique, faisant se répondre ou se répéter les images entre elles. Se dégage une esthétique que l’on peut également rattacher au pop art, liée aux effets de répétions, à l’exagération des scènes par leur démultiplication, pouvant évoquer Warhol ou Lichtenstein (pour la partie bd). Cette relation avec l’art pop paraît d’autant plus évidente, incluant même l’imagerie publicitaire, tant certaines séquences font franchement penser à des spots pour Martini ou le parfum Lancôme.
Le film d'espionnage et l'art optique. En bas de gauche à droite "Vega-Ral", 1991 et "Vega 200" par Victor Vasarely, 1968
Reflet dans un diamant mort conjugue ainsi de nombreux éléments visuels et sonores dans un esprit totalement libre et éclectique. Par son montage, ses embardées artistiques, sa circularité narrative, le film atteint le statut de véritable bijou s’affranchissant des frontières pour le pur plaisir cinématographique. Les deux réalisateurs sont maintenant en route vers leur 5ème long métrage qui marquera leur retour à leur projet initial, c’est à dire à la création d’un film d’animation dont le titre devrait être Darling.
Images : Reflet dans un diamant mort, Hélène Cattet & Bruno Forzani, © Kozak Films 2025
Commentaires
Enregistrer un commentaire