La méthode Gondry

Avec Le Livre des solutions Michel Gondry renoue avec les notions du « Do it yourself » et du « fait maison », son passé de musicien, mais surtout avec l'esprit de bricolage et de famille traversant la création d'un film.

Pierre Niney (Marc Becker) nous embarque littéralement dans son grand projet de film Chacun tout le monde. Refusé par les producteurs, y compris le sien, Max Laporte (Vincent Elbaz) au motif que son film est ennuyeux et passablement laid, il décide de prendre les devants et se retranche dans les Cévennes pour finaliser le montage à l'aide de sa monteuse Charlotte (Blanche Gardin) et de son assistante Sylvia (Frankie Wallach). C'est sans compter sur la présence bienveillante de sa tante Denise (Françoise Lebrun) et de Carlos (Mourad Boudaoud) l'assistant monteur de Charlotte qui ne fait que tousser ce qui insupporte Marc au plus haut point.

Marc Becker (Pierre Niney) et Sylvia (Frankie Wallach)

Regroupé dans une maison de campagne, tout ce beau monde vit au rythme des idées bouillonnantes de Marc. Pierre Niney est excellent dans ce personnage hyperactif, nerveux, obsédé, irascible, pas loin du pétage de plomb à chaque scène, mais incroyablement créatif, rêveur et amoureux. Pour contrer ses ardeurs les personnages de Denise et de Charlotte offrent un parfait contrepoint apportant la nuance nécessaire aux excès de Marc.

Denise (Françoise Lebrun) et Marc

Pour Gondry c'est peut-être son film le plus abouti depuis The We and the I (2012) ou Microbe et Gasoil (2015), le plus personnel aussi, tant par le fait qu'il nous parle en creux de lui-même, de sa propre difficulté à canaliser ses embardées créatives, à calmer sa mégalomanie (bipolarité diagnostiquée au moment de réaliser L’Écume des Jours) que de faire un film, avec toute la part inventivité et d'énergie que cela suppose et requiert.

Le Livre des solutions est ainsi traversé par une vitalité hors-norme, une drôlerie et un amour du cinéma qui provient d'une efficace alchimie entre acteurs, personnages, création. Les preuves à l'appui sont nombreuses, notamment le moment où Marc donne rendez-vous à un orchestre dans le seul studio d'enregistrement du village pour travailler la musique de son film sans partition en suivant juste sa propre voix et son corps. Cela donne lieu à une scène géniale, inédite, que seul Michel Gondry est en mesure de mettre en scène.

Mais on pourrait aussi citer la scène du « camiontage », l'idée des lunettes-feuilles, le film d'animation entracte Max le renard, le moment insolite où, perché sur un arbre, Marc coupe une branche pieds nus sous la pluie, son bénéfice incongru de rouler en seconde, lorsqu'il évite une balle grâce à un dictionnaire, la rencontre avec Sting et bien sûr le livre recueil de solutions, de systèmes, de principes, que Marc écrit tout au long de son aventure en tant que jeune réalisateur.

Sting

Visuellement Le Livre des solutions n'est pas en reste non plus, tant il offre plusieurs modalités d'écritures, que ce soit par le texte, le dessin, le stop motion, les effets spéciaux bricolés, les décors. L’inventivité et la frénésie de Marc se ressentent dans presque tous les plans. Sa capacité à s'investir par tous les moyens dans son film rappelle par ailleurs les personnages de Jack Black et Mos Def dans Soyez sympa, rembobinez (2008), contraints de « suéder » les films d’un vidéoclub par leurs propres moyens pour le sauver. Mais on pense aussi à Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) dans la relation amoureuse qu'entretient Marc avec Gabrielle (Camille Rutherford), notamment lors de la scène du café-terrasse sous la pluie où les deux personnages affichent une tendre complicité, ou bien lorsque Marc désespéré s'enfonce littéralement dans son lit, quand par miracle vient sonner à sa porte Gabrielle venue pour lui remonter le moral.

Gabrielle (Camille Rutherford) et Marc

C'est en fait la drôlerie et la poésie qui sont mises à l'honneur à travers Le Livre des solutions. Voir l'aventure d'un film comme une aventure avant tout humaine, faite d'une tonne d'obstacles à gérer, à éluder (le pourquoi du livre et du passage à l'écrit pour trouver un moyen de contrer les aléas du réel), avec toujours un regard lucide et bienveillant sur ses propres soutiens et sa propre création. Michel Gondry signe ici un film autoportrait articulant brillamment le banal et l’imaginaire débridé, tout en avançant l’idée au-delà du film que l’écriture, le dessin, la musique sont des extraordinaires alliés pour répondre aux maux du quotidien, tout comme avoir de précieux amis, sans lesquels nul projet ne pourrait advenir. 

Gabrielle, Marc et Charlotte (Blanche Gardin)

Photos : Le Livre des solutions, Michel Gondry, 2023